Mais ils sont fous ces Robin(s) !!!.
Depuis toujours, je suis un explorateur de cartes. Le soir, sous le faisceau étroit du spot de la lampe de chevet, je traque le parcours inédit, le col méconnu, la route qui peut surprendre ... peut mener loin ... et faire rêver...
Depuis longtemps, je lorgnais sur ce bout de route entre Suze et Sestrière, intrigué par ce col de la Finestre, prélude à une succession de cinq cols à plus de deux milles mètres jusqu'à la station de ski piemontaise. Les quelques renseignements brigués ça et là semblaient m' indiquer que cette route sans bitume n'était pas incompatible avec la pratique du vélo de route, équipé bien entendu en conséquence, muni de pneus cossus et robustes, dépourvus de l'enveloppe légère propre aux "siffleurs" qui chantent au vent sur des asphaltes de rêve!
Ensuite, un retour effectué par la vallée de Bardonnechia, pouvait tranquillement nous ramener jusqu' à Suze au terme d' une boucle
d' environ cent dix kilomètres. Bref, tous les signaux étaient au vert pour tenter l'aventure et engager une belle cavalcade à travers les crêtes.
Notre séjour, prévu fin aout à Lansvillard allait nous fournir une occasion formidable de réaliser ce projet.
Un coup de bagnole jusqu'à Suze par le col du Mont-Cenis et nous serions tout de suite près à rentrer dans le vif du sujet ! J' avais hâte d' y être ... j' en salivais déjà ...
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Vouloir s'élever a toujours été ancré dans la nature la plus profonde de l'homme. Ce trait de caractère presque incontournable se manifeste sous différentes formes. C'est l'attrait du pouvoir, de la domination pour certains ambitieux, la quête spirituelle pour des idéalistes à la recherche d' une vérité religieuse. Pour le modeste cycliste que je suis, grimper un col suffit à mon bonheur. L'exercice, simple et délicat à la fois, envoûte, emporte l'individu audacieux vers des plaisirs rares, mais réclame en contre-partie beaucoup de patience et d'abnégation. La haute montagne est belle mais reste impitoyable. Il faut l'aborder avec respect et avec humilité pour gagner ses faveurs. Les gens pressés ou les prétencieux qui la toise de haut sont rapidement mis au placard et renvoyés à leurs occupations ... en bas ... dans la vallée !
En ce jeudi 27 aôut, nous voilà enfin parti à l'assaut de ce fameux col de la Finestre, avec toute la retenue qui est de mise, tout le respect dû à son rang. Un petit frisson parcourt notre dos. La montagne qui se dresse face à nous est franchement imposante, voir inhospitalière, noire et sombre en ses premiers contreforts, en ce fond de vallée alpine. Elle ne semble pas prête à se laisser faire! Je sais qu'il nous faudra du temps pour émmerger du trou! que c'est en grignotant minutieusement la pente que nous déboucherons en pleine lumière au coeur des alpages, laissant derrière nous ce bout de vallée sans intéret, pointé à quatre cents mètres et quelque d'altitude.
Les premières pentes sont rudes et accueillent le visiteur par un convivial coup de trique! à ce rythme, le dénivelé de mille sept cent mètres qui est au programme pourrait être avalé en moins de dix kilomètres. L'ascension en comportant dix neuf, c'est plutôt rassurant pour la suite et tout cela se confirme après la traversée du petit village de Méana, qui domine Suze. La pente décline après cette tonitruante entrée en matière, adoucie par une interminable enfilade de lacets courts et rapprochés qui donne l' impression d' évoluer sur ce flanc de montagne comme en équilibre sur une échelle posée contre une façade. Un bref coup d'oeil vers le bas, nous permet d' évaluer rapidement notre progression vers le haut. Quelques trouées à travers l'épais tapis de végétation au coeur duquel nous évoluons depuis le départ, nous permettent d' apprécier notre lente mais immuable progression. Le fond de la vallée, aperçu fugitivement au gré des tournants, diminue en taille, s' éloigne lentement, au fil du temps qui passe ...
Kilomètre onze, ça y est nous y sommes! Comme prévu, le bitume se dérobe, l' aventure peut commencer. Fini le goudron confortable. Un sol terreux, hérissé par endroit de cailloux anguleux forme désormais notre nouveau terrain de jeu! Une borne placée sur une fontaine nous indique l'altitude de 1480m. Nous sortons du bois et devinons déjà l' échancrure du col qui se déssine au dessus de nos têtes. Quelques bosquets de conifères éparpillés ça et là, s' attardent encore sur la paroi, mais pour peu de temps maintenant . C' est avec un réel plaisir que nous effectuerons les huit derniers kilomètres qui nous séparent du sommet, au coeur d' une nature dénudée et dépouillée, oû l' air vif fouette le corps. Le temps de nous vêtir chaudement et nous posons pour la traditionnelle photo souvenir, appuyés au panneau du col. Nous tronons fièrement tout à côté de la stelle dédiée à Danielo Diluca, qui parait-il a réalisé ici un bel exploit! Douteux comme il va de soit! au cours d' un précédent Giro, mais ça, c'est une autre histoire!
Piqués par le froid et sans plus nous atarder sur le sujet, nous plongeons de l'autre coté du col. Quelques nuages et leurs beaux panaches blancs s' accrochent aux montagnes, donnent des allures bonhommes à une nature austère et aride . Quelques kilomètres de bitumes, provisoirement retrouvés s'offrent à nous en une descente belle et abrupte, puis une bifurcation se présente et nous voilà sur cette fameuse route des crêtes ... qui en réalité n' en est pas une !
C'est un chemin muletier, cahoteux, caillouteux à souhait, qui n'est plus "la voie royale", certes, faite de terre battue, mais décrite par nos amis Alain et Lina, comme accéssible aux vélos de route et qu'ils avaient empruntée en un temps ... un autre temps ... qui depuis a fait son oeuvre.
Près de quarante kilomètres de piste nous attendent, long filament de cuivre infini et grandiose qui parcourt la montagne sans ne jamais descendre en dessous de deux mille mètres d'altitude, vertigineux sentier qui grimpe parfois jusqu'à plus de deux mille cinq cent mètres. Les quelques heures oû nous roulerons sur cette piste hors des routes et hors du temps nous laisseront un souvenir impérissable, même si parfois nous avons été observé par quelques motards croisés sur le parcours, comme des extra-terrestres déguisés en cyclistes routiers et débarqués à l'improviste d' une soucoupe volante sur le sommet de la montagne!
Face aux aspérités du terrain, à l'hostilité du milieu, subitement je rajeuni de trente ans et recouvre miraculeusement mes vieux réflèxes de cyclo-crossman, une gestuelle toute en nuance, qui préconise la finesse, met en exergue la souplesse, doublée d' un sens aigu de l'esquive, met en avant l'art à la fois noble et primitif de tenir en équilibre sur un vélo. Rien à voir avec le VTT, et là je vais me fâcher avec certains, oû les pneumatiques, " les gros boudins" donnent de l'assurance, voir de l'arrogance à certain de ses pratiquants, adeptes du" droit devant à fond la caisse"!
Nadine n' a pas d' état d'âme et aborde l'obstacle sans se poser de questions d'ordres existencielles ou métaphysiques. C'est une dure! Tout le monde le sait, qui passe partout et qui sait s'adapter à chaque situation difficile sans jamais se plaindre.
Mais la difficulté qui est là, miraculeusement se délite, rapidement se dissipe comme lambeaux de brume au soleil, noyée, submergée par la beauté et la grandeur des paysages. C'est une échappée belle qui nous est offerte, comme un moment de grâce que nous savourons à chaques instants, au coeur de cette nature dépouillée et primitive, loin de nos vies civilisées et matérielles, payées trop souvent au prix fort. Etranges moments que ceux oû l'on se sent déconnecté de tout, loin des tracas
d' un quotidien banal. Chaques virages qui débouchent sur de nouvelles perspectives, sur de nouveaux vertiges, nous offrent un spectacle à couper le souffle. Un doux sentiment d' euphorie, nous frôle, nous guette, tous les slogans volent en éclat. " Travailler plus pour gagner plus",
" casses toi pauvre con !" ici le bonheur le plus absolu, on le trouve
" gratos"! Il suffit d'écarquiller, d'ouvrir grand les yeux!
Parfois, entres deux replis de terrain, le fond de la vallée nous apparaît, minuscule, gouffre insondable. En bas la vie continue, quelques bruits, quelques murmures comme un chat qui ronronne, semblent remonter jusqu'à nous, étouffés par l'echo des montagnes. Mais nous sommes au dessus de tout cela, comme portés par un songe. Ce rêve, je le sens fugitif, près à nous filer entres les doigts. Pour le retenir et le figer définitivement à travers les pages d'un bel album, notre appareil photo est un précieux allié ... jusqu'à mi-parcours ... oû l'incident se produit et oû une basse réalité matérielle nous rattrape. J'appuie alors convulsivement sur le bouton déclencheur et rien ne se passe. L'affichage, lui est formel et énonce un verdict sans appel: "il faut changer les piles" et bien sûr, pas de piles de rechanges dans le sac à dos! ça aussi c'est les Robin tout crachés ! Et là oû nous sommes, le bureau de tabac le plus proche qui pourrait nous dépanner n'a pas encore été inventé !
Tant pis, nous ferons sans, nous mémoriserons et garderons jalousement en nous les belles images de la fin du parcours.
Le col Basset (2424m) marquait la fin du périple, sixième col de la journée après ceux par ordre chronologique de la Finestre (2176m), de l'Assietta (2472m), de Lauson (2487m), de Blagier (2356m) et de Bourgier (2299m). Sestrière, station de ski huppée, terrain de jeu des piemontais italiens, nous apparaissait en contrebas, comme pour nous signifier notre imminent retour à la civilisation. Après une ultime descente tortueuse, notre échappée sauvage à travers les crêtes prenait fin, la parenthèse se refermait sur cette expérience unique et innoubliable.
Le bitume, l'enrobé chatoyant retrouvé, nous ramenaient définitivement à une normalité qui pendant quelques heures semblait nous avoir complètement échappée. Seules nos épaules endolories, nos fesses meurtries n'étaient pas là pour s'en plaindre. Nos têtes ravies, ruisselante de sueur, poussiéreuses, toutes abasourdies d'images trainaient elles encore, quelque part dans les nuages.
Le retour, la plongée sur Suza parmi les voitures et les camions ne fut qu' une banale formalité sur laquelle il n' y a pas grand chose à dire. La boucle était bouclée.
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Ah le vélo ! Quel magnifique mécanique inventée pour se mouvoir d' un point à un autre, sur notre si belle et si surprenante petite planète. Quel idéal moyen de locomotion pour s'évader du quotidien, pour voyager, car comme l'a si bien remarqué et si bien écrit Gérard de Nerval : " voyager : c'est vérifier ses rêves".
Beauzac - septembre 2009
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